Lors de la Conférence internationale AFS 2019  sur la citoyenneté mondiale active – quelle éducation pour y parvenir (organisée du 9 au 11 octobre 2019 à Montréal, Canada), un remarquable débat d’experts a été organisé sous le nom « Examen de l’état de l’enseignement des compétences globales dans le monde », mené par Melissa Liles, responsable de l’engagement international chez AFS. Ces discussions ont eu lieu dans le cadre du 4e objectif de développement durable des Nations Unies, lequel concerne l’éducation de qualité et appelle les différentes parties prenantes à assurer l’accès à une éducation inclusive et équitable de qualité et à promouvoir les possibilités d’apprentissage pour tous tout au long de la vie.

« Selon l’UNESCO, environ 60 % des pays ont adopté des mesures politiques préconisant l’intégration des compétences globales à l’école, mais beaucoup moins d’entre eux ont en réalité concrétisé leurs engagements en appliquant des programmes et des exercices pratiques. », explique Melissa Liles. « Une étude après l’autre témoigne de l’inquiétude des enseignants, des législateurs, des entreprises et des ONG face à la pénurie de personnes qualifiées dans le domaine de ces compétences globales fondamentales. Pourquoi ces dernières prennent-elles alors tant de temps à s’implanter au cœur des programmes scolaires et des programmes destinés aux jeunes dans le monde ? »

Selon les cinq experts en éducation présents à ce débat, la politique continue certes de jouer un rôle majeur dans ce problème, mais elle n’est pas l’unique responsable.

Politique : promouvoir l’importance des compétences globales

« L’éducation est l’affaire la plus politique à laquelle contribuent ensemble les êtres humains », affirme Dominic Cardy, Ministre de l’éducation et du développement de la petite enfance au Nouveau-Brunswick (Canada). « L’éducation forme l’héritage que nous décidons de léguer à la génération suivante. Il n’y a rien de plus politique. Plus nous essayons de minimiser son importance, plus nous risquons de nous retrouver démunis face à la puissance de l’extrémisme et du populisme. » Dominic Cardy ajoute que l’enseignement des compétences globales constitue une « lutte idéologique », et que nos mots ne suffiront pas pour résister aux nationalistes et aux détracteurs qui s’opposent à ce concept.

« En Europe, les programmes scolaires sont définis au niveau national. Il est donc rare de financer un programme d’enseignement international », ajoute Tamara Gojkovic, secrétaire générale de Youth for Exchange and Understanding et vice-présidente de la Plateforme pour l’apprentissage tout au long de la vie. « Et en ce qui concerne les législateurs européens, l’éducation en matière d’interculturalité et de citoyenneté active est très eurocentriste », ajoute-t-elle. « À cause de ces mentalités, il est d’autant plus difficile d’intégrer les compétences globales et l’éducation civique dans les programmes scolaires. »

Formation du corps professoral : les enseignants doivent devenir des citoyens du monde 

« Nous devons revoir la formation des enseignants », annonce Darla Deardorff, directrice générale de l’Association of International Education Administrators (AIEA). « Il est temps de ne plus simplement considérer l’enseignement comme un “transfert de connaissances”. Il faut aider les enseignants à développer les connaissances, les compétences et les attitudes nécessaires pour maîtriser les compétences globales et introduire celles-ci au sein de leurs classes. » Darla Deardorff souligne qu’il est possible que les étudiants, déjà acteurs de cette génération mondialisée, « aient une longueur d’avance dans ce domaine par rapport à leurs professeurs. »

Pour répondre aux questions concernant la manière dont les universités traitent la demande croissante d’introduction des compétences globales dans les programmes de formation des enseignants, Darla Deardorff, chercheuse à l’université Duke, recommande aux institutions de commencer à déterminer et à exploiter leurs ressources et compétences interculturelles globales déjà existantes.

Évaluation : impossible d’évaluer ce que nous ne pouvons pas mesurer

Les questions relatives aux meilleures façons d’évaluer les compétences globales continuent d’alimenter les débats dans de nombreux pays. Tous les trois ans, l’évaluation PISA mise en place dans le secondaire, qui est organisée et reconnue au niveau international, fournit des données comparatives sur les compétences en compréhension à la lecture, en mathématiques et en sciences des élèves âgés de 15 ans. En 2018, l’introduction des compétences globales à cette évaluation a représenté pour beaucoup un réel progrès, mais n’a pas pour autant fait l’unanimité.

« Les compétences globales forment un nouveau concept et sont, par conséquent, difficiles à évaluer », explique Tarek Mostafa, analyste politique à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Toutefois, la plupart des pays s’accordent à dire que les compétences globales sont importantes pour les étudiants du XXIe siècle. Le défi consiste à trouver un moyen de les mesurer. » Tarek Mostafa informe que deux tiers des pays participants à l’évaluation PISA (c’est-à-dire 56 pays sur 80) ont décidé d’y inclure les compétences globales. « Les pays qui n’y ont pas participé avaient des questions d’ordre technique sur l’évaluation et sur la façon dont elle se déroulerait chez eux. Les pays participants enseignent peut-être déjà les compétences globales et sont maintenant plus à l’aise avec le déroulement de l’évaluation. C’est pourquoi je pense qu’il s’agit plutôt d’une question de précaution et non pas de désapprobation. »

Programmes : remettre en question les fondements des programmes scolaires

Nancy Burrows, membre de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), conseille aux défenseurs des compétences globales et de l’éducation à la citoyenneté d’impliquer les premiers concernés : les étudiants. L’année passée, l’AQOCI a permis aux étudiants de contester le rôle du système scolaire québécois en matière de solidarité internationale et d’éducation à la citoyenneté mondiale. Des élèves du secondaire (âgés de 15 ans et plus) ont évalué l’intégration des questions de solidarité internationale et d’éducation à la citoyenneté mondiale dans leurs écoles et ont rassemblé les résultats obtenus dans un bulletin destiné au gouvernement du Québec. Les représentants des élèves ont ensuite rencontré le Ministre de l’éducation dans l’espoir de faire entendre leurs préoccupations et d’influencer la formation de leurs professeurs.

Coalitions : impliquer les parties prenantes à tous les niveaux

Bien que la promotion des compétences globales et de l’éducation à la citoyenneté mondiale soit confrontée à des défis, les intervenants restent optimistes quant à la mobilisation des enseignants, des législateurs et des citoyens pour permettre à plus de jeunes d’avoir accès à ces enseignements. En fin de compte, c’est précisément ce qu’envisagent les objectifs de développement durable : travailler ensemble et exploiter diverses compétences pour atteindre les objectifs. Ou, comme défini dans l’ODD 17 : renforcer les moyens de mettre en œuvre le partenariat mondial pour le développement et le revitaliser. Mais c’est Tamara Gojkovic qui le résume encore mieux : « Nous avons les ressources, nous avons les connaissances. Nous devons travailler ensemble ! »

(Traduction : Laetitia Pirson – Article AFS International)